Anatole France Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres rĂŠcits profitables 

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peu. Buquet ne pouvait se passer de lui, et nous l'emmenions au théâtre.
Quel âge avait-il?
Géraud? Je ne sais pas. Entre trente et quarante ans... Un jour donc que Laroche m'avait donné une loge,
j'allai, comme de coutume, rue de Grenelle, chez les amis Buquet. J'étais un peu en retard et quand j'arrivai, le
dîner était servi. Paul criait la faim ; mais Adrienne ne se décidait pas à se mettre à table en l'absence de
Géraud. "Mes enfants, m'écriai-je, j'ai une seconde loge pour le Français! on joue Denise! Allons, dit
Buquet, mangeons vite la soupe et tâchons de ne pas manquer le premier acte." La bonne servit. Adrienne
semblait soucieuse et l'on voyait que le coeur lui levait à chaque cuillerée de potage. Buquet avalait à grand
bruit le vermicelle dont il rattrapait avec sa langue les fils pendus à sa moustache. "Les femmes sont
extraordinaires, s'écria-t-il. Figure-toi, Laboullée, qu'Adrienne est inquiète de ce que Géraud n'est pas venu
dîner ce soir. Elle se fait des idées. Dis-lui donc que c'est absurde. Géraud peut avoir eu des empêchements.
Il a ses affaires. Il est garçon ; il n'a à rendre compte de son temps à personne. Ce qui m'étonne c'est, au
contraire, qu'il nous consacre presque toutes ses soirées. C'est gentil à lui. Il n'est que juste de lui laisser un
peu de liberté. Moi, j'ai un principe, c'est de ne pas m'inquiéter de ce que font mes amis. Mais les femmes ne
sont pas de même." Mme Buquet répondit d'une voix altérée: "Je ne suis pas tranquille, Je crains qu'il ne soit
arrivé quelque chose à M. Géraud." Cependant Buquet activait le repas. "Sophie! criait-il à la bonne, le
boeuf, la salade! Sophie, le fromage! le café!" J'observai que Mme Buquet n'avait rien mangé. "Allons, lui dit
son mari, va t'habiller. Va, ne nous fais pas manquer le premier acte. Une pièce de Dumas n'est pas comme
ces opérettes dont il suffit d'attraper un air ou deux. C'est une suite logique de déductions, dont il ne faut rien
perdre. Va, ma chérie. Quant à moi, je n'ai qu'à passer ma redingote." Elle se leva et s'en alla dans sa chambre
d'un pas lent et comme involontaire.
"Nous prîmes le café, son mari et moi, en fumant des cigarettes. "Ce brave Géraud, me dit Paul, je suis tout
de même contrarié qu'il ne soit pas venu ce soir. Ça l'aurait amusé de voir Denise. Mais conçois-tu Adrienne
qui se tourmente de son absence? J'ai beau lui faire entendre que cet excellent garçon peut avoir des affaires
qu'il ne nous dit pas, que sais-je, des affaires de femmes. Elle ne comprend pas. Passe-moi une cigarette."
Au moment où je lui tendis mon étui, nous entendîmes sortir de la pièce voisine un long cri d'épouvante suivi
du bruit d'une chute lourde et molle. "Adrienne!" s'écria Buquet. Et il s'élança dans la chambre à coucher. Je
l'y suivis. Nous y trouvâmes Adrienne couchée de son long sur le parquet, la face blanche les yeux révulsés,
immobile. Le sujet ne présentait aucun symptôme d'un état épileptique ou épileptiforme. Pas d'écume aux
lèvres. Les membres étaient allongés, sans rigidité. Le pouls inégal et court. J'aidai son mari à la mettre dans
un fauteuil. Presque aussitôt la circulation se rétablit, son teint, ordinairement d'un blanc mat, s'inonda de
rose. "Là! dit-elle, en montrant son armoire à glace, là! je l'ai vu. Comme je boutonnais mon corsage, je l'ai
vu dans la glace. Je me suis retournée, croyant qu'il était derrière moi. Mais ne voyant personne, j'ai compris
et je suis tombée."
"Cependant je recherchais si sa chute n'avait pas produit quelque lésion et je n'en trouvais aucune. Buquet lui
faisait avaler de l'eau de mélisse avec du sucre. "Voyons, ma chérie, lui disait-il, remets-toi? Qui diable
as-tu vu? et qu'est-ce que tu dis?" Elle pâlit de nouveau. "Oh! je l'ai vu, lui, Marcel. Elle a vu Géraud! c'est
particulier! s'écria Buquet. Oui, je l'ai vu, reprit-elle gravement, il m'a regardée, sans rien dire ; comme
cela." Et elle faisait un visage hagard. Buquet m'interrogea de l'oeil. "Ne vous inquiétez pas, lui répondis-je ;
ADRIENNE BUQUET 40
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ces troubles ne sont pas graves ; peut-être viennent-ils d'une affection de l'estomac. C'est ce que nous
étudierons à loisir. Pour le moment, il n'y a pas à s'en occuper. J'ai connu à la Charité un sujet gastralgique
qui voyait des chats sous tous les meubles."
"En quelques minutes, Mme Buquet s'étant tout à fait remise, son mari tira sa montre et me dit: "Si vous
croyez, Laboullée, que le théâtre ne lui fera pas mal, il est temps de partir. Je vais dire a Sophie d'aller
chercher une voiture." Adrienne mit brusquement son chapeau. "Paul! Paul! docteur! écoutez: passons
d'abord chez M. Géraud. Je suis inquiète je suis plus inquiète que je ne peux dire. Tu es folle! s'écria
Buquet. Qu'est-ce que tu veux qui soit arrivé à Géraud? Nous l'avons vu hier en parfaite santé." Elle me jeta
un regard suppliant, dont la brûlante lumière me traversa le coeur. "Laboullée, mon ami, passons chez M.
Géraud, tout de suite, n'est-ce pas?" Je le lui promis. Elle me l'avait si bien demandé! Paul grognait ; il
voulait voir le premier acte. Je lui dis: "Allons toujours chez Géraud, cela ne fait pas un grand détour." La
voiture nous attendait. Je criai au cocher: "5, rue du Louvre. Et marchez bon train."
"Géraud habitait au 5 de la rue du Louvre, pas loin de sa banque, un petit appartement de trois pièces, rempli
de cravates. C'était le grand luxe de ce brave garçon. A peine arrêtés devant sa maison, Buquet sauta hors du
fiacre et passant la tête dans la loge, demanda: "Comment va M. Géraud?" La concierge lui répondit: "M.
Géraud est rentré à cinq heures, il a pris ses lettres. Et il n'est pas ressorti. Si vous voulez le voir, c'est
l'escalier au fond, au quatrième, à droite." Mais déjà Buquet à la portière de la voiture criait: "Géraud, il est
chez lui. Tu vois bien que tu n'avais pas le sens commun, ma chérie. Cocher, à la Comédie-Française." Alors
Adrienne se jeta à demi hors de la voiture. "Paul, je t'en conjure, monte chez lui. Vois-le. Vois-le, il le faut.
Monter quatre étages! dit-il en haussant les épaules, Adrienne, tu vas nous faire manquer le théâtre. Enfin,
quand une femme a une idée dans la tête..."
"Je restai seul dans la voiture avec Mme Buquet dont je voyais luire dans l'ombre les yeux tournés sur la [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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